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Expériences de la guerre au XIXe siècle
Formes, représentations, imaginaires
XLIe Congrès de la SERD (2026)
Du 24 au 26 mars 2026, musée des Invalides, Paris
Les dictionnaires s’accordent, à l’instar du Bescherelle, pour définir la guerre comme une “lutte armée entre deux ou plusieurs Etats” et comme une “série d’actes violents par lesquels une puissance cherche à faire prévaloir, contre une autre puissance, des prétentions justes ou injustes” (ou pour la période qui nous intéresse, dans le Littré, « La voie des armes employée de peuple à peuple, de prince à prince, pour vider un différend »). Si la guerre relève de la lutte armée et a par nature partie liée avec la violence, elle se distingue donc d’autres formes de conflit comme le combat (qu’il soit individuel ou collectif), l’insurrection, la révolte ou l’émeute par son origine étatique, ce qui suppose qu’elle engage pour tout ou partie le “corps” de la nation. Que cette violence se déploie à l’intérieur d’un même pays, comme dans le cas de la guerre civile, ou qu’elle en excède les frontières en impliquant plusieurs acteurs belligérants, qu’elle soit offensive ou défensive, qu’elle relève d’une politique expansionniste ou qu’elle vise à conforter l’unité intérieure, la guerre constitue par définition une mise en crise de la souveraineté du ou des Etats concernés.
Le XIXe siècle a certes pu être perçu, selon l’expression de Sylvain Venayre, comme le siècle des “guerres lointaines” – du moins si l’on s’en tient à un point de vue européocentré, tout particulièrement en fin de siècle où la Belle Epoque européenne se présente comme un temps pacifié, sinon pacifique. La fin des guerres de la Révolution française puis l’ombre portée par les deux conflits mondiaux du XXe siècle tendent en effet, par contraste, à faire du XIXe siècle un “siècle de paix”, même si cette idée a été largement contestée depuis les années 1990 et les développements de l’historiographie coloniale, entre autres approches (Les Guerres lointaines de la paix. Civilisation et barbarie depuis le XIXe siècle). En outre, la vision téléologique d’une histoire en marche vers un état de civilisation toujours plus accompli, telle qu’elle s’impose dans plusieurs pays d’Europe durant la période concernée, peut sembler peu compatible avec les connotations passéistes, voire archaïques, associées à l’exercice de la guerre. La progression des idéaux démocratiques semble de fait mal s’accommoder d’un goût tout aristocratique pour la réussite sociale par les armes, considéré comme la survivance d’une époque révolue, même si les guerres révolutionnaires ont contribué à renouveler cet imaginaire en héroïsant le peuple en armes, porteur d’étendards et faisant corps d’armée. Le général de Bozonnet, monarchiste sur le plan politique mais se définissant comme “bonapartiste” sur le plan militaire, déplore ainsi dans le Paris de Zola (1898), en pleine IIIe République : « La guerre [doit] être une affaire de caste [...]. La démocratiser, c’est la tuer », avant de formuler le paradoxe suivant : « Voilà pourquoi le service obligatoire, la nation en armes, amèner[a] certainement la fin de la guerre [...] ». Les questions de la conscription, du service militaire obligatoire, de la hiérarchie militaire animent en effet de nombreux débats et des textes de loi. Dans ce vaste XIXe siècle qui va de la Grande Armée idéalisée à la Grande Muette qui condamne le capitaine Dreyfus, la “question militaire” accompagne celle de la guerre.
Il faut en tout cas rappeler que, pour peu que l’on élargisse la perspective, les conflits armés entre nations sont nombreux au XIXe siècle. Sans prétention à l’exhaustivité, l’on peut citer, parmi les plus importants, les guerres napoléoniennes, la guerre de Crimée, la guerre d’indépendance grecque qui interroge les notions d’ingérence et d’engagement volontaire, mais aussi les guerres d’Italie, la guerre austro-prussienne et la guerre de 1870 ; en portant le regard outre-Atlantique, on songe à la guerre du Paraguay (la moins connue en Europe, la plus coûteuse en vies humaines, entre 1864 et 1870) et à la guerre de Sécession, première guerre industrielle de l'histoire. Il faut également évoquer les guerres coloniales, en Afrique et en Asie, ainsi que les guerres hispano-américaines qui se terminent en 1898, ou encore la guerre russo-japonaise (1904-1905). La périodisation envisagée ici va des conflits post-révolutionnaires à 1914 et porte ouvertement sur les guerres entre États (non les guerres civiles). Sans intégrer non plus la première guerre mondiale, il restera envisageable de la considérer comme un objet redouté, envisagé, préparé (romans d’anticipation, crainte de la guerre, discours sur la guerre et le militarisme, lois sur la conscription, conscience de la montée des périls, préparation des populations à un éventuel conflit). Les affects sollicités, peur, inquiétude, mais aussi enthousiasme ou au contraire résignation (la guerre inévitable) pourront constituer l’un des points d’ancrage des réflexions et des comparaisons entre, par exemple, plusieurs fictions, ou des fictions et des textes non-fictionnels (essais, témoignages, presse).
La guerre dans ce projet est donc considérée sous l’angle multiple des guerres d’indépendance, des guerres coloniales, des guerres menées hors Europe (guerres hispaniques ; guerres outre-Atlantique), qu’elles soient relatées par des participants ou qu’elles inspirent des romans d’aventures, et pourra donner lieu à des approches plurielles. Est au cœur du projet une expérience de la guerre : faire ou ne pas faire la guerre, la faire ailleurs, la faire autrement, seront les interrogations qui accompagneront les débats de ce congrès. Non seulement le XIXe siècle coïncide avec de nouvelles manières de faire la guerre (industrialisation, processus d’armement, cartographie, chimie, aviation) et d’en prendre en charge les conséquences (personnel médical sur les champs de bataille, naissance de la Croix Rouge, premiers travaux de psychiatrie militaire, pensions et emplois des vétérans ou invalides de guerre), mais il voit aussi se diversifier les façons de la documenter, de la représenter (naissance du reportage de guerre durant la guerre de Crimée), que ce soit pour la célébrer, pour en dépeindre les horreurs, ou pour en interroger la légitimité et l’efficacité. Parce que la guerre, au-delà des discours, se vit aussi dans la chair et l’esprit des individus, une attention particulière sera portée aux pratiques effectives de la guerre, aux expériences corporelles, sensorielles qu’elle implique, ainsi qu’aux façons très concrètes et matérielles de les et de s’y préparer. On sera notamment sensible aux approches interrogeant la façon de « vivre » la guerre, qu’elle soit directe (participation à un conflit, témoignage, blessures du corps) ou indirecte (lecture, documentation, expérience d’un autre) dans ce qu’elle fait aux individus et la façon dont ils en font un discours (dénonciation, représentation). Faire la guerre sera ainsi articulé à ce que fait la guerre aux corps, aux relations sociales et humaines et à leur mise en récit.
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Les propositions pourront s’inscrire dans l’un et / ou l’autre des axes suivants, qui ne sont pas pour autant limitatifs. Une attention particulière sera portée aux propositions témoignant d’un effort de décloisonnement géographique et privilégiant une approche qui ne soit pas strictement française. Le maniement de plusieurs corpus sera particulièrement bienvenu (œuvres littéraires, pratiques médiatiques, muséales et culturelles, textes de non-fiction).
Les principaux axes proposés, sans prétendre à l’exhaustivité, sont les suivants :
Axe 1 : Préparer (à) la guerre : idéologies, discours et stratégies
● Stratégies militaires et alliances géopolitiques, usages du langage et des stéréotypes (ennemis héréditaires et nations perfides dans les romans d’aventures par exemple)
● Évolution des techniques de guerre (balistique, armement…), et leur corollaire, la curiosité pour les armes du passé (pratiques muséales d’exposition et de conservation ; fictions « préhistoriques » comme La Guerre du feu)
● Les raisons de la guerre : justifications idéologiques, politiques. Guerres et morale : guerres "justes" ; guerres de "civilisation" ; guerres et impérialisme
● Les raisons individuelles et les valeurs de la guerre : quête de gloire et d’héroïsme, d’avancement social, départ à l’étranger, revanche sur soi
● De guerre lasse : refus de la guerre, stratégies d’évitement (« s’acheter un homme ») ou de dénonciation (le “cas de M. Pierre Loti” dans Le Figaro en 1883) et de contestation
● La guerre du futur, ou la guerre au futur : guerre « propre » sans corps à corps (chimie, aviation), guerre dans les récits d’anticipation (Robida, Verne, Danrit, Pierre Giffard)
● Guerre et paix : de l'abbé de Saint-Pierre aux penseurs socialistes, des saint-simoniens aux pacifistes et antimilitaristes (Darien, Descaves, Hermant)
● La “guerre des enfants” : mobilisation enfantine ou familiale par les jeux et jouets (jouets militaires ou jeux de l’oie par exemple), mais aussi par l’école et l’éducation (manuels, littérature jeunesse)
Axe 2 : Vivre la guerre : traces, pratiques, expériences
● Corps blessés, malmenés, violentés
● Hygiène de la guerre. Évolution des pratiques de chirurgie
● Les sons et les silences de la guerre au sens le plus concret du terme (cris, gémissements, déflagrations, cris d’animaux, silences)
● Traumas physiques et psychologiques ; les vétérans et les grands-pères ; les invalides (et leurs professions après-guerre)
● Corps sociaux / socio-professionnels face à la guerre
● Personnel de la guerre (soldats, chirurgiens, vivandières, infirmières…)
● Profiteurs de guerre (vente d’alimentation avariée, vente et trafics de matériel), crimes de guerre (viols, morts de civils)
● Masculin / féminin : rapport à la masculinité mais aussi revendication d’un rôle croissant (ou décroissant d’ailleurs) des femmes comme combattantes
● Ceux (celles ? l’expérience genrée différente pouvant impliquer des réflexions sur les veuves et orphelins de guerre par exemple, ou sur les associations de femmes et filles de disparus) qui ne font pas la guerre : des travaux sur l’antimilitarisme, ses propositions, arguments et modes d’expression (contestation, expérience) seront bienvenus ; on sera sensible à les distinguer de la déploration plus générale du désœuvrement et de l’inefficacité de l’armée obligatoire (ennui, vie de caserne) qui ne relève pas strictement de l’antimilitarisme, voire reste très belliqueuse
● Portraits (iconographiques, photographiques) des soldats, statues, visibilité des mutilations et des corps meurtris ; typologies et physiologies (le soldat laboureur, Chauvin, Boquillon, Bidasse, le « Turco », l’invalide)
● La guerre ailleurs : quels continents, quels espaces, quels lieux (la rue, la jungle, le désert etc.)
Axe 3 : Montrer la guerre : constructions, représentations, imaginaires
● Genres, tonalités, registres, esthétiques (épique, pathétique, comique, horreur)
● Les défis de la représentation romanesque ou théâtrale, difficultés à dire, représenter « la bataille » (Balzac par exemple)
● Déclinaisons intermédiales (peinture de guerre, illustration, photographie de soldats par Nadar, goût du portrait en uniforme, panoramas…affiches, musique, chansons, hymnes, marches) et lieux (café-concert, bals, commémorations)
● La construction d’un récit national / de récits nationaux antagonistes (rôle des manuels scolaires et des livres / romans offerts lors des cérémonies des prix) ; romans d’aventures
● Mémoires de guerre : commémorations, monuments, toponymes et aussi mémoires d’anciens généraux ou soldats, surtout après 1870
● Expérience de la guerre et médecine ; ancêtres des ONG ; Croix Rouge ; convention de La Haye
● Visibilité de la guerre après la guerre dans des espaces pacifiés : les médailles, le fait de porter l’uniforme même en temps de paix, dans la rue, l’image du militaire dans le civil
● Reportages de guerre (photographie, sons, entretiens) et récits de guerre : les écrivains face à la guerre (ou aux guerres) ... ; médiation et médiatisation
● Oublis : passer sous silence, omettre, censurer
● L’après-guerre en famille : transmissions intergénérationnelles, représentations des vieux soldats, mobilisation enfantine par les jeux et jouets, reliques et souvenirs de guerre
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Bibliographie sélective
Arrous, Michel (dir.), Napoléon, Stendhal et les Romantiques. L’Armée, la Guerre, la Gloire, Cazaubon, Eurédit, 2002.
Audouin-Rouzeau, Stéphane, Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe-XXIe siècle), Paris, Seuil, 2008.
Baty-Delalande, Hélène, et Trévisan, Carine (dir.), Entrer en guerre, Paris, Hermann, 2016.
Bianchi, Nicolas, Les “Gaîtés” de la tranchée. Poétique historique du rire romanesque de la Grande Guerre (1914-1933), sous la codirection de Marie-Eve Thérenty et Pierre Schoentjes, thèse de doctorat en littérature française soutenue le 8 décembre 2021 à l’université Paul-Valéry Montpellier 3.
Cabanes, Bruno, Dodman, Thomas, Mazurel Hervé et Tempest Gene (dir.), Une histoire de la guerre : du XIXe siècle à nos jours, Paris, Seuil, 2018.
Drévillon, Hervé (dir.), Mondes en guerre. L’âge classique (XVe-XIXe siècle), Paris, éditions Passés recomposés, 2019.
Estelmann, Frank et Peyroles, Aurore (dir.), Villes en guerre au XIXe siècle. L’urbanité moderne à l’épreuve du conflit. Expériences, représentations, imaginaires, Rennes, PUR, 2021.
Foglia, Aurélie (dir.), “L’Epique”, Romantisme, n°172, 2016.
Frémeaux, Jacques, De quoi fut fait l’Empire. Les guerres coloniales au XIXe siècle, Paris, CNRS éditions, 2014.
Hobsbawn, Eric, The Age of Empire: 1875-1914, New York, Vintage, 1989.
Joly, Vincent, Guerres d’Afrique. 130 ans de guerres coloniales. L’expérience française, Rennes, PUR, 2009.
Kaempfer, Jean, Poétique du récit de guerre, Paris, José Corti, 1998.
Laurens, Henry, L’Expédition d’Égypte, 1798-1801, Paris, A. Colin, 1989.
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Milkovitch-Rioux, Catherine et Pickering, Robert (dir.), Écrire la guerre. Colloque tenu à l'Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 12-14 nov. 1998, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2000.
Neiva, Saulo (dir.), Déclin & Confins de l’épopée au XIXe siècle, Tübingen, Gunter Narr, coll. « Etudes Littéraires Françaises », 2008.
Jaulmes, Adrien, Raconter la guerre : une histoire des correspondants de guerre, Paris, Equateurs, 2021.
Roth, Michel P., The Encyclopedia of War Journalism, 1807-2010, Amenia, Grey House, 2010.
Roynette, Odile, Bons pour le service : l’expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Belin, 2000.
Roynette, Odile, « Le comique troupier au XIXe siècle : une culture du rire », Romantisme, vol. 161, n°3, 2013, p. 45-59.
Singaravélou, Pierre (dir.), sous la coordination d’Arthur Asseraf, Guillaume Blanc, Nadia Yala Kisukidi, Mélanie Lamotte, Colonisations. Notre histoire, Paris, Seuil, 2023.
Thiesse, Anne-Marie, La Création des identités nationales : Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2001.
Venayre, Sylvain, Les guerres lointaines de la paix. Civilisation et barbarie depuis le XIXe siècle, Paris, Gallimard, coll. « NRF essais », 2023.
Vissière, Laurent, et Trévisi, Marion (dir.), Le Feu et la Folie. L’irrationnel et la guerre (fin du Moyen-Âge-1920), Rennes, PUR, 2016.
Projet POLEMOS, université Paris Nanterre : https://polemos.hypotheses.org/a-propos
Sur la Guerre de Sécession et son influence sur la littérature : https://www.choice360.org/choice-pick/civil-war-in-literature/
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Comité d’organisation : Florence Fix, Marine Le Bail, Corinne Legoy
Nous vous remercions d’envoyer vos propositions (comportant le titre provisoire de la communication) de 2000 signes maximum, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique :
- Date-limite des propositions : lundi 8 septembre 2025
- Retour du comité scientifique : mercredi 15 octobre 2025
- Adresse : congresserd2026@gmail.com