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Voir la conférence en vidéo… Si la poétique doit se donner pour objet « tout ce qui a trait à la création ou à la composition d’ouvrages dont le langage est à la fois la substance et le moyen » (Valéry, 2023 : I, 761), elle suppose une définition de l’art que Paul Valéry a voulu, pour le Cours de poétique, la plus générale possible : il n’y a d’art que dès lors qu’il existe plusieurs manières de faire. S’il n’y a qu’une manière de faire, on ne parlera jamais du mot art. Mais lorsqu’il y a plusieurs manières de faire, le mot art pourra s’employer pour désigner l’une quelconque de ces manières. — 2 févr. 1945 (Valéry, 2023 : II, 543). La définition la plus simple et la plus générale que l’on peut donner en matière de l’art, c’est qu’il est une manière de faire entre autres manières de faire. Ce qui suppose une sorte de possibilités diverses présentées. — 13 janv. 1945 (Valéry, 2023 : II, 4182). C’est pourquoi le montage d’une armoire Ikea ne fera pas de vous un artiste, alors même que l’ébénisterie est un art. Dès lors qu’elle traite des œuvres de l’esprit, la poétique doit prendre acte de ce fait patent, qui est pour un poète comme Paul Valéry une douloureuse évidence : toute œuvre s’élabore dans une « sorte de possibilités diverses présentées », ce qui signifie que le processus créateur a toujours affaire à plusieurs œuvres d’abord également possibles, parmi lesquelles il s’agit à tout instant de choisir, c’est-à-dire aussi de refuser — avec le risque tout aussi constant de se tromper, l’art emportant logiquement l’échec comme condition de sa possibilité. C’est cette même évidence qui a toujours rendu la pratique de l’explication de texte insupportable à Paul Valéry, depuis un épisode fameux de la vie académique des années 1930 : « l’essai d’explication du Cimetière marin » que le professeur Gustave Cohen avait convié le poète à entendre en 1932 depuis les bancs de la Sorbonne. Lors de cette mémorable leçon, le poète redevenu étudiant avait fait l’expérience d’une dissociation entre deux « modes d’existence » du poème : D’une part, mon poème étudié comme un fait accompli, révélant à l’expert sa composition, ses intentions, ses moyens d’action, sa situation dans le système de l’histoire littéraire ; ses attaches, et l’état probable de l’esprit de son auteur […].D’autre part, la mémoire de mes essais, de mes tâtonnements, des déchiffrements intérieurs, de ces illuminations verbales très impérieuses qui imposent tout à coup une certaine combinaison de mots […↧