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« […] Cette fuite loin de notre propre vie que nous n’avons pas le courage de regarder et qui s’appelle l’érudition1 », telle est la manière dont Marcel Proust qualifiait, au début du XXe siècle, dans Le Temps retrouvé, ce rapport particulier au savoir qui lui semble de nature à éviter la confrontation directe avec l’existence et avec la création artistique. Dans son livre intitulé L’Érudition imaginaire, publié chez Droz en 2009, Nathalie Piégay rappelle que l’érudition « passion du détail et démon de l’exhaustivité » (2009, p. 73) a perdu aujourd’hui une bonne partie du crédit dont elle disposait autrefois : Plus la littérature se conçoit comme autonome, moins elle accorde de prix à l’érudition. Non qu’elle ne fasse plus cas des savoirs ; mais elle ne les pense plus comme un élément extérieur à soi. La verticalité essentielle de l’érudition qui suppose transmission des textes, filiation des savoirs et des savants, patient établissement d’une tradition… fait place à une conception tout horizontale de la littérature, marqueterie de savoirs et de discours, réseau ou rhizome d’énoncés. Plus la littérature se pense comme langage autonome, moins elle pense le rapport aux savoirs et la question de la tradition. (Piégay-Gros, 2009, p. 7) Nathalie Piégay se livre alors à une analyse détaillée des fictions de l’érudition imaginaire, parmi lesquelles les plus connues sont sans doute celles de Borges et de Nabokov. Elle montre que l’érudition habite désormais la conscience des écrivains et devient la matière première de leurs livres : L’érudition est affaire d’imagination, elle stimule l’invention et la création, elle s’implante dans les récits qui représentent des démarches savantes, des enquêtes érudites. L’érudition est alors doublement imaginaire : imaginaire parce qu’elle est mise en scène dans des fictions, mais aussi parce qu’elle n’est plus rivée au savoir objectif, à la source attestée, au détail vérifié. La référence érudite, la digression savante, le catalogue cité sont souvent apocryphes, ou du moins, mêlent le vrai et l’inventé, l’historique et le fictif. (ibid.) Vinciane Despret, philosophe, psychologue et éthologue, professeur à l’université de Liège, publie en 2022 un ouvrage au titre déconcertant : Autobiographie d’un poulpe et autres récits d’anticipation. Cet ouvrage fait suite à plusieurs essais d’éthologie dont certains évoquent eux aussi un animal particulier : Naissance d’une théorie écologique. La danse du cratérope écaillé (1996), Penser com↧