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Voir la conférence en vidéo… Position du problème Il y a quelque temps de cela, j’ai donné à mes étudiants de Tours, étudiants qui préparent les concours de l’enseignement, un sujet de dissertation : « L’Histoire d’un voyage faict en la terre de Bresil de Jean de Léry est-elle une œuvre littéraire ? » Cela a provoqué la perplexité et peut-être l’effroi de certains de mes étudiants. La question mérite pourtant d’être posée tout simplement parce que, à l’évidence, cette question serait moins possible, et moins admissible même, pour un recueil de sonnets de Ronsard ou pour un roman de Rabelais. Majoritairement, la réponse des étudiants consista à dire que bien entendu c’était de la littérature et notamment parce qu’il s’agissait d’une œuvre mise au programme de l’Agrégation et du Capes de Lettres. L’argument n’est pas si petit qu’il y parait de prime abord mais le serpent se mord tout de même un peu la queue. Le Voyage au Bresil serait un texte littéraire parce qu’il est reconnu comme tel par une institution aussi prestigieuse que le jury de l’agrégation, docte cénacle qui appose ainsi en quelque sorte une sorte de « Nihil obstat » sur la première page. Comme le dit d’ailleurs William Marx dans une tribune récente donnée au Monde : Un canon est une liste d’œuvres, hiérarchisée ou non, établie explicitement par une autorité ou admise par consensus plus ou moins tacite, destinée à servir de référence pour un usage particulier au sein d’une communauté donnée. […] Plus la communauté interrogée est professionnellement ou sociologiquement homogène, plus la réponse aura d’autorité canonique et validera une certaine échelle de valeurs dans la communauté concernée. Pour ma part je pense qu’il y a fort à parier que sans les travaux d’ethnologie de Claude Lévi-Strauss sur les Tupinambous du Brésil et sans les efforts constants de Frank Lestringant, professeur de littérature française de la Renaissance à la Sorbonne, cette œuvre aurait pu connaître un tout autre destin. Loin de moi bien entendu l’idée de dire que ce texte n’a aucune valeur littéraire. Je ne le pense pas du tout. En revanche ce texte peut être pris, je crois, comme modèle des œuvres plus ou moins périphériques du champ littéraire, œuvres qui, pour des raisons contingentes et circonstancielles, acquièrent ou non le statut d’œuvres littéraires de plein droit. Œuvre périphérique, dis-je, car le récit de Léry est, qu’on le veuille ou non, perçu comme moins « littéraire » qu’une œuvre de Ronsard ou de Rabelais↧