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L’écrivain Kevin Lambert, récipiendaire du Prix Médicis 2023 pour son roman Que notre joie demeure, est souvent celui par lequel la polémique arrive au Québec, ou disons plus précisément le débat sur des questions divisant la société. La dernière en date de ces controverses passe par la France : deux jours après avoir été retenu dans la première liste du prix Goncourt, Kevin Lambert est vivement critiqué sur Instagram par l’écrivain Nicolas Mathieu (lauréat du Goncourt en 2018) pour avoir fait appel à une éditrice d’origine haïtienne dans le processus de relecture de son roman, « tout en disant que ceux qui s’opposent au recours à des lecteurs sensibles (sensitivity readers) étaient réactionnaires » (Maalouf, 2023). À vrai dire, la relation de travail entre Kevin Lambert et la poétesse et professeure de littérature Chloé Savoie-Bernard ressemble davantage à une consultation respectueuse et amicale, c’est-à-dire à une collaboration éditoriale, qu’à quelque processus confinant à la censure ou l’autocensure (Develey, 2023b)1. Il n’empêche que le débat sur les lecteurs sensibles, les sensivity readers, que nous appellerons démineurs éditoriaux, refaisait surface en contexte québécois quelques mois après que l’opinion publique eut été occupée par une série de nouvelles éditoriales en provenance du Royaume-Uni : les romans d’Agatha Christie, de Roald Dahl, de P. G. Wodehouse et, surtout, d’Ian Fleming (Atkinson, 2023)2, en voie de réédition, étaient allégés de certains termes pouvant être jugés blessants par des lecteurs contemporains (Develey, 2023a). À ces rares nouvelles sur le monde de la réédition entretenant la rumeur médiatique s’ajoutaient des dépêches relatives au retrait d’ouvrages jugés offensants dans diverses bibliothèques canadiennes, publiques et scolaires (Brockbank & King, 2023). Pour des raisons qui deviendront ci-dessous explicites, le public québécois est depuis l’automne 2020 particulièrement sensible aux questions relatives à la liberté d’expression et plus particulièrement à la liberté universitaire, sans qu’un consensus véritable, transcendant les lignes de démarcation politiques, n’émerge autour de certains dissensus : la liberté académique (menacée, voire morte selon certains, bien portante selon d’autres), la culture du bannissement (triomphante selon les uns, grandement exagérée selon les autres), le « déminage éditorial » enfin (procédant de la censure selon les uns, mais pour les autres du simple bon sens). Deux « affaires univers↧